1. Vérité, réalité et jugement |
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- Lorsque saint Thomas
définit la vérité comme "adéquation de la chose et de l'esprit",
il en propose une conception que paraît confirmer l'expérience
quotidienne. Lorsque je dis "Il pleut", on estime que je dis
vrai si, au moment où je parle, la pluie tombe effectivement
: il y a donc accord entre l'expérience et le langage.
- Dans ce cas, la
vérité qualifie ma proposition, ou mon jugement, et non la pluie.
L'"adéquation" attendue concerne non "la chose" en elle-même,
mais ce que je peux en dire. La chose n'est pas vraie ou fausse
: elle est ou n'est pas, et le fait que je puisse en parler
faussement ne modifie pas sa présence. Si je dis "Il ne pleut
pas" au moment même où la pluie tombe, celle-ci ne s'interrompt
pas, et c'est bien mon jugement qui est faux, tandis que la
pluie continue à être.
- Dans la mesure où
la vérité est une valeur, elle ne peut en effet appartenir aux
choses, puisque celles-ci n'acquièrent de valeur qu'en raison
du projet qu'une conscience forme à leur égard. La vérité appartient
donc au langage, c'est-à-dire à la façon dont l'esprit rend
compte de son rapport aux choses.
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2.
Vérité formelle, vérité matérielle |
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- En logique classique,
le principe de non-contradiction m'interdit de formuler simultanément
et à propos du même objet une affirmation et sa négation. Je
ne peux rationnellement dire "Il pleut et il ne pleut pas" -
du moins relativement à ce dont m'informe ma perception quant
au milieu proche. Je n'ai donc une chance de dire vrai qu'en
respectant certaines règles.
- Ces règles sont
celles de la logique, et elles sont bien les seules à considérer
dans les discours qui n'évoquent pas d'objets - par exemple
en mathématiques -. La vérité est alors qualifiée de formelle,
puisqu'elle ne s'intéresse qu'à la forme du discours, à sa cohérence
interne. En partant d'un certain nombre de propositions premières,
je devrai respecter les règles de la déduction pour élaborer
toutes les propositions ultérieurement possibles. La rigueur
qui caractérise cette vérité formelle a durablement fasciné
la philosophie : Descartes en déduit que l'évidence est le critère
même du vrai, mais l'évidence, outre qu'elle risque d'être subjective,
ne caractérise pas nécessairement les axiomes, et dans les cas
où une démonstration est très longue, elle n'est pas davantage
présente.
- Lorsque le langage
évoque les choses du monde, il faut garantir que les termes
ou symboles utilisés sont adaptés à ce que je saisis du monde.
Cette vérité matérielle ou empirique suppose qu'à chaque élément
de l'expérience correspond un symbole - dont la définition doit
être stricte et complète : aux exigences de forme s'ajoutent
celles concernant le "contenu" du langage. C'est le cas dans
toutes les sciences, étant admis depuis Kant que leur discours
vise, non les choses en elles-mêmes, mais bien ce qui nous en
apparaît (les phénomènes).
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3.
Des vérités non scientifiques |
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- En affirmant que
notre connaissance est déterminée par la structure de notre
esprit, Kant prend soin d'indiquer qu'au-delà reste ouvert le
domaine de la pensée. C'est donc cette dernière qui, dépassant
l'expérience, doit élaborer la métaphysique, puisqu'elle n'est
constituée que d'idées pures. Comment, dès lors, prétendre accéder
à des vérités métaphysiques ? Ne risque-t-on pas, en l'absence
de tout garde-fou, de dire n'importe quoi (par exemple, en prétendant
démontrer l'existence de Dieu) ? Pour y échapper, faut-il renoncer
à la métaphysique ?
- Que la science soit
le seul discours qui puisse nous fournir des vérités, c'est
ce qu'affirmait l'idéologie scientiste - dont les chercheurs
contemporains se gardent bien. On peut admettre en effet qu'une
place soit réservée pour d'autres vérités que les vérités scientifiques
: vérités morales, religieuses, ou métaphysiques.
- Elles ne peuvent
être de simples opinions, injustifiables et susceptibles de
refuser toute contradiction. Les vérités de cet ordre sont respectables
si elles visent une certaine cohérence, ou sont en accord avec
des conduites. Lorsque Kant postule l'existence de Dieu, de
l'immortalité de l'âme et de la liberté, c'est précisément pour
confirmer la cohérence globale de la morale et du monde, c'est-à-dire
en introduisant certaines exigences de la vérité formelle dans
une métaphysique privée des critères empiriques de la vérité.
- Qu'il s'agisse donc
des vérités auxquelles la science nous donne accès ou de celles
dont le domaine est extra-scientifique, c'est toujours vers
des propositions valorisées positivement que l'esprit se dirige.
La recherche des vérités concerne la dignité de la pensée, et
c'est en ce sens qu'elle peut constituer un devoir. A ce dernier
comme à n'importe quel autre, il est possible de désobéir (c'est
ce que fait Nietzsche en choisissant la vie, s'il le faut, contre
la vérité) - mais ce doit être alors en toute conscience de
choisir une valeur autre, et non par le fait de l'ignorance
pure et simple.
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